Le billet de Raymond - BEN HERBERT LARUE

Au P’tit Bar

Les couleurs de la vie au travers 
du kaléidoscope du trio Ben Herbert Larue


     Sur l’étroit plateau du P’tit Bar de Saint-Ouen d’Attez, devant le rideau rouge si joliment travaillé, Ben Herbert Larue est venu, samedi 30 janvier, présenter avec son « big bang » son dernier spectacle, concocté en un trimestre avec la patience et la réussite d’un maître cuisinier à la recherche des saveurs de la vie.
     Tout de noir vêtu, debout, tête nue, coincé entre le chapeau circulaire et sombre de Jozef Fabre, multi- instrumentiste expert, et la casquette beige de Xavier Milhou, contrebassiste habitué de la salle où il triompha souvent, Ben Herbert Larue a offert ce repas musical préparé avec soin et au menu riche, complet, rempli de douceurs regroupées ou de plats relevés dignes du grand guignol avec une sauce où se mélangent cynisme et flashs poétiques.
     Cet ogre affamé de mots, qui se goinfre de phrases sorties de son imagination sensible ou cueillies dans les jardins des maîtres Hugo et Cocteau par exemple, impressionne. Avec lui, tout fait ventre. Ou plus exactement, tout est  absorbé de façon théâtrale avec une justesse de diamantaire. Ses deux complices lui apportent l’aide nécessaire pour envelopper ce menu de rêve, ces éléments indispensables que sont le bruit et le silence : soupirs, cadences sonores, onomatopées faisant ressortir chaque mot prononcé d’une voix forte, en équilibre stable, aux accents du Grand Jacques ou les gestes feutrés du mime Marceau.
     Athlète de la scène, formé au monde du cirque et celui du théâtre, notre B.H.L, qui n’a rien à voir avec l’autre, assaisonne la soirée en l’éclairant des couleurs toniques et légères à la fois que sont celles de toute vie.
     Son « C’est Mozart qu’on assassine », personnel et éloquent, est le credo de l’enfance. Il perçoit, derrière la fillette rêveuse, toutes les possibilités pour faire d’elle un jour la Colette au col Claudine préparant Le blé en herbe; ou bien, ce petit garçon, attentif aux nuages se bousculant dans le ciel, qui sera le Vincent Van Gogh mixant ses huiles aux parfums exotiques; ou bien encore, Cerdan distribuant gracieusement ses marrons, et même Jésus chassé par l’égoïsme ignorant des marchands du  temple revenus sur cette terre.
     Et Ben, désabusé et impuissant, continue de nous offrir son rire et sa poésie comme un onguent parfumé qu’il est doux de s’imprégner. Le temps de pause devient le trou normand bien spécifique, puisque, comme disait sa grand-mère, plutôt que de broyer du noir, il vaut mieux s’offrir un gros rouge. Et cela sur la cadence révélée de chocs de verres et de bruits de bouteille au rythme du cœur, vénéré en commun.
     L’artiste reprend sa recette en saupoudrant de délices le cheminement des heures. Là, il cueille, dans le wagon quotidien où son regard croise une silhouette féminine, l’image furtive d’une possible rencontre; au coin de la rue, celle des bras enserrant le vide sur l’absence de l’être aimé disparu; plus loin, celle de l’enfant étonné qui grandira à nos côtés. Riches fleurs d’une vie  imposée.
     Dans son élan à la sensibilité d’éponge, Ben entraîne ses « alcoolytes » dans un délire qui le pousse avec cynisme à partager sa passion de la cuisine avec samère. Le delirium tremens devient vite très épais avant de plonger dans un rire grand-guignolesque réconfortant et salvateur dans lequel les spectateurs s’étranglent de plaisir. Des spectateurs comblés par ces agapes du cœur, alors que dehors, à peine la porte franchie, nous attend le brouet indigeste et quotidien de la folie des hommes.
     Des hommes suffisamment barbares pour offrir au monde le spectacle de leurs atrocités.
Qu’il est réconfortant que des lieux comme le P’tit Bar, que des artistes comme Ben Herbert Larue et son « big band » inscrivent à leurs menus ces soirées où l’amour est partagé avec intelligence.

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